Par Paul Santelmann, directeur de la veille « emploi & qualifications » à l’Afpa et publié le 8 juillet 2016
Une étude récente du CEREQ sur l’apprentissage (Bref n° 346 – mai 2016) confirme que les apprentis ont une insertion professionnelle « nettement plus favorable que les jeunes issus de la voie scolaire ». Ce constat se consolide année après année, assorti d’une autre observation qui tient dans le caractère de plus en plus sélectif de ce dispositif, conçu au départ pour accueillir les jeunes en échec scolaire !
Cette tendance résulte de l’incohérence qui consiste à conserver plusieurs voies professionnelles, entraînées dans la spirale mortifère de la concurrence et de l’allongement inconsidéré des études, lequel est présenté comme une démocratisation alors qu’il ne s’agit que de massification.
Dans les pays où la voie professionnelle s’est construite par l’apprentissage, impliquant un engagement plus ou moins structuré des entreprises, le pilotage du système éducatif et universitaire a intégré la réalité de la structure des emplois, en évitant un décalage trop important entre les objectifs professionnels de la formation initiale, et le contenu de ces emplois.
En France, 50 % des activités correspondent à des emplois d’ouvriers et d’employés et à des niveaux de diplômes de niveau CAP ou Bac professionnel. Or la plupart de ces emplois exigent d’avantage de compétences qu’il y a 30 ou 40 ans. Par ailleurs, une partie de ces emplois est exercée de façon transitoire (CDD, temps partiel, intérim) et suppose donc une capacité de rebond des jeunes qui les occupent. Tout cela justifie une formation professionnelle enrichie, moins spécialisée, porteuse d’une employabilité plus large… Et la poursuite d’études généralistes au sein des Universités n’est pas une réponse adaptée à ce problème.
Sauf que la France n’a pas les moyens d’entretenir plusieurs voies professionnelles dont certaines sont en accès ouvert, éloignées des entreprises et enfermées dans un rôle de relégation, et d’autres, au contraire, tentées par la sélection au nom de leurs liens avec les entreprises. La voie professionnelle scolaire est aujourd’hui dans un dilemme insurmontable face à l’apprentissage et aux contrats de professionnalisation qui attirent de plus en plus les jeunes les moins en difficulté d’insertion.
L’étude du CEREQ souligne notamment que les écarts d’insertion entre scolaires et apprentis renvoient, certes, à des différences dans les spécialités fines (aux débouchés différents), mais aussi aux caractéristiques sociales (origines socioculturelles variées) ou territoriales (quartiers plus ou moins défavorisés, tissus économiques plus ou moins favorables) des jeunes. Par ailleurs le faible poids des jeunes filles dans l’apprentissage témoigne d’un phénomène de discrimination qui avantage les spécialités industrielles fortement masculinisées. À l’inverse, les spécialités tertiaires féminines de l’enseignement professionnel scolaire, présentent des taux d’emploi plus faibles. Plus globalement, scolaires et apprentis sont confrontés à des discriminations liées à leurs origines ethniques… A contrario, les apprentis de licence professionnelle d’origine sociale favorisée ont un avantage sur les autres licenciés professionnels des cursus universitaires classiques.
Ces constats militent donc pour une refondation unitaire de la voie professionnelle autour de l’apprentissage qui intègre clairement l’objectif de lutte contre les discriminations sur la base de contrat d’objectifs territoriaux avec les branches et les entreprises.
En instrumentant l’appui aux jeunes des milieux défavorisés il est tout à fait possible de mobiliser des entreprises et des associations dans des cursus qualifiants par la voie d’un système d’apprentissage socialement ambitieux.
Paul Santelmann, directeur de la veille « emploi & qualifications » à l’Afpa