« Lâcher prise ou laissez venir ? une question de vocabulaire »

Par Marc Bouchet

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La notion de « lâcher prise », issue de la pensée zen, est galvaudée et bien souvent utilisée à mauvais escient. Il en est ainsi des mots. Et comme l’écrivait le Poète René Char : «  Les mots savent de nous ce que nous ignorons d’eux ».

Dans la pensée zen et les pratiques orientales de méditation (bouddhiste yogi), le lâcher prise consiste à tenter de « faire le vide dans son esprit ». Ceci est une condition sine qua non afin d’entrer en contact avec soi à travers des sensations physiques et émotionnelles.

On parle aussi de non-attachement. Cependant, cela n’est qu’un aspect du lâcher prise qui, dans la méditation bouddhiste et/ou zen, insiste également sur un processus d’accueil des émotions, de ce qui passe à l’intérieur et à l’extérieur de soi en vue de prendre conscience pleinement de ce qui se passe ici et maintenant.

Comme le suggère Mathieu Ricard (Moine bouddhiste et traducteur du Dalaï lama), « reconnaitre une émotion au moment où elle survient, comprendre qu’elle n’est qu’une pensée d’existence propre et la laisser se dénouer, voilà ce qui au cœur de la pratique contemplative bouddhiste » (Ricard 2004, p. 147).

Nous pouvons aussi évoquer l’idée de s’abandonner à soi et son univers intérieur. Le psychiatre Maslow a cette formule très juste selon nous : « En se protégeant contre l’enfer qui est en soi, on se coupe du paradis qui s’y trouve aussi » (Ben-shahar 2011, p. 101).

Par ailleurs, il convient de ne pas se « laissé enfermer » par l’injonction du lâcher prise. Cela conduirait à une contradiction et une contraction sur le plan de la pensée et de l’émotion.

Il ne s’agit en aucun cas de renoncer ou de se retirer de l’action (car il s’agit de rester acteur de sa propre vie) ; encore moins de se figer dans une position (par exemple dans l’injonction « je dois arrêter d’être stressé ») et de remplacer une mise en demeure (« tu dois arrêter de stresser ! ») par une autre mise en demeure (« il faut que tu lâches prise ! »). Il s’agit au contraire, d’accueillir et d’assouplir son esprit et nos pensées automatiques afin de se mettre en une posture de méta-cognition. (Ellis, p.52, 2000)

L’énergie, les pensées, les émotions doivent pouvoir circuler et s’inscrire dans un mouvement.  Nous pourrions évoquer les idées de volonté douce et d’expérience ouverte.

C’est la raison pour laquelle, l’expression « laissez venir » nous semble mieux appropriée. En effet, la notion de « laissez venir » rejoint l’idée de se laisser traverser par des pensées, des songes, des émotions et ainsi se mettre en état de pouvoir les accueillir. Dans certains cas et pour certaines personnes, cela peut s’avérer plus parlant et évocateur.

Une fois résolue la question du choix de l’expression, le « lâcher prise » et/ou le « laissez venir » sont bien souvent rattachés à une peur du changement, de l’inconnu. Les mécanismes de défenses et de résistances sont de fait sollicités à différents degrés selon les enjeux conscients et inconscients de l’individu.

Comme le souligne à juste titre Lamy et Moral « lâcher prise c’est accepter le risque de l’imprévu, d’une nouvelle vision du monde, c’est aussi faire deuil (…). Dans le lâcher prise, il y a donc cette double position : ouverture vers un possible et abandon de ce qui n’es plus vraiment utile : interdits injustifiés, croyances limitantes, co-dépendances, objectifs atteignables, émotions négatives, ressentiments et attentes abusives  » (Lamy/Moral 2011, p. 73).

Le niveau de conscience, la propre représentation que l’on a de sa situation, de ce que je suis, de ce que je veux, a une influence ou détermine le degré d’appréhension de sa volonté ou non de changement.

Selon Mathieu Ricard, il importe de pouvoir bénéficier « … des conseils d’un maitre spirituel authentique qui saura nous aider à progresser, en libérant l’esprit. Au départ, celui-ci est confus, soumis à d’innombrables conditionnement et automatismes. Pour l’apaiser, il faut apprendre à gérer ses pensées, non en les bridant, mais en les laissant survenir et se dissoudre d’elles-mêmes dans le champ de la pleine conscience, de sorte qu’elles n’envahissent pas notre esprit ». N’est-ce pas là une jolie définition du « lâcher prise », permettant notamment de conduire à ce que l’on nomme dans le bouddhisme la « vision pénétrante » ?

Cependant, il serait préférable de substituer à l’idée du maître ou du guide détenteur de la connaissance celle de l’accompagnant en tant que « maître ignorant ». C’est ainsi du moins qu’il est possible d’envisager le rôle du coach en soutien de la personne dans le cadre d’un processus de coaching.

Pour reprendre l’image du lâcher prise, un alpiniste qui se trouve en grande difficulté sur une paroi à 500 mètres du sol, doit-il lâcher prise ou au contraire s’acharner dans la voie sur laquelle il se trouve ?

Le philosophe stoïcien Marc-Aurèle nous apporte un début de réponse : « Il faut de la sérénité pour accepter les choses qu’on ne peut pas changer, du courage pour changer les choses qu’on peut changer, et de la sagesse pour distinguer l’un de l’autre. »


Bibliographie

Ouvrages :

Ben-Shahar 2011 – T. Ben-Shahar, L’apprentissage de l’imperfection [2010]. Paris : Pocket évolution, 2011.

Ellis 2000 – A. Ellis, Dominez votre anxiété avant qu’elle ne vous domine. Paris : Editions de l’Homme, 2000.

Lamy/Moral 2011 – M. Lamy, M. Moral, Les outils du coach : bien les choisir, bien les organiser. Paris : InterEditions, 2011.

Ricard 2004 – M. Ricard, Plaidoyer pour le bonheur. Paris : Pocket évolution, 2004.